Le bateau ivre

« DES ECUMES DE FLEURS ONT BERCE MES DERADES ET D’INEFFABLES VENTS M’ONT AILE PAR INSTANTS » PHOTO : LEA OLIVIER.

« La tempête a béni mes éveils maritimes.

Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots

Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,

Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots »


D’abord, la couleur de l’eau. Grise. Ensuite, la couleur du ciel. Gris. Le soleil est levé depuis plusieurs heures, mais ce matin il est difficile de sentir sa présence. Il est temps de sortir dehors pour la première uCTD de la journée. Le vent s’emmêle dans nos cheveux et s’engouffre dans nos vêtements. Soudain, des étaux glacés se referment autour de nos chevilles, et une pluie de sel s’abat sur nos visages. Maintenant complètements éveillées, nous regardons l’Océan se retirer lentement du pont. La paisible étendue d’eau habituelle qui entoure le bateau s’est transformée pendant la nuit en un champ de bataille. Les vagues dansent et emportent le bateau avec elles dans une chorégraphie complexe et énergique. Au bout du navire, nous attendons le retour de notre instrument qui s’est réfugié 400m plus bas, mesurant température et salinité. Devant nous s’étend désormais un océan de feu, où les vagues font doucement crépiter le bateau. Au milieu de l’océan, entourées d’eau, on peut clairement sentir la puissance des éléments. Le vent joue avec nous comme il joue avec les vagues, nos cheveux volent dans tous les sens comme l’écume des vagues qui se fracassent dans un vacarme assourdissant sur le bateau. Malgré le froid, nous ne pouvons qu’apprécier la beauté du paysage devant nous. La danse des vagues nous ensorcelle, l’Océan n’a jamais paru aussi hostile, et pourtant il n’a jamais été aussi attrayant.

« Et des lors je me suis baigné dans le Poème

De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,

Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême

Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; »

 

Une énième contradiction. Un océan de contradictions. Je ne me suis jamais sentie aussi seule sur un bateau au beau milieu de l’Atlantique Sud, secoué par une tempête, et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi entourée qu’en vivant avec 50 autres personnes sur un si petit espace. Le paysage n’est qu’Océan, mais jamais nous ne le trouvons monotone. Son bleu si profond reflette les humeurs des éléments, d’innombrables nuances de bleu s’entremêlent dans le bleu roi de l’Océan Atlantique. Impossible de se lasser du mouvement incessant des vagues, qui nous bercent le soir, nous réveillent le matin, et nous émerveillent la journée.

« GLACIERS, SOLEILS D’ARGENT, FLOTS NACREUX, CIEUX DE BRAISES »
PHOTO : LEA OLIVIER

« Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes

Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,

L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,

Et j’ai vu quelque fois ce que l’homme a cru voir ! »

 

Les jours que j’apprécie le plus sont donc ceux de tempêtes, ou les extrêmes s’accentuent et où l’on se sent si petit par rapport aux forces des éléments. Le ciel et la mer ne font plus qu’un et nous délivre un spectacle aussi enivrant que la danse des flammes dans un feu de cheminée. Ce jour là, le vent n’a pas faiblit, et la mer n’a cessé de se creuser. Le navire a fermé ses portes, et nous ne sommes sortis dehors que pour de rares occasions, avec des gilets de sauvetages. Réfugiés dans notre laboratoire principal, nous observions à travers les hublots les vagues qui se fracassent sur le pont. Pas besoin de télévision ou d’internet, la compagnie des autres, la magie de la nature, et un bon thé bien chaud sont assez pour faire de notre voyage une féerie.

Léa

Poème : Le Bateau Ivre, par Arthur Rimbaud

« LA MER DONT LE SANGLOT FAISAIT MON ROULIS DOUX, MONTAIT VERS MOI SES FLEURS D’OMBRE »
PHOTO : LEA OLIVIER

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